Alizée Froment : « Il y a bien trop de courants qui s’affrontent au lieu de s’écouter et d’échanger »
P.A : En 2010, tu deviens entraineuse et sélectionneuse de l’équipe de France de Dressage à poney. Quel est le plus dur lorsque l’on détient ce rôle ?
A.F : Le plus dur est de dire à des enfants qui se sont battus à vos côtés pour se dépasser toute l’année qu’ils ne vous accompagneront pas aux championnats d’Europe. Savoir que c’est leur rêve que l’on arrête est quelque chose d’extrêmement lourd à porter. Hélas, il n’y a chaque année que 4 places. Certains m’en ont beaucoup voulue et je les ai compris. J’ai été là moi aussi. Je sais que notre monde s’effondre à ce moment-là. Mais je sais aussi qu’il y a un après. Quoi qu’il en soit, j’ai toujours fait ces choix avec le cœur lourd.
A.F : Les championnats d’Europe d’Arezzo en 2013 sans aucun doute ! Une équipe soudée jusqu’au bout, une atmosphère incroyable qui a permis de les amener à une 5e place encore jamais réalisée, un soleil magnifique, des rires, du partage, de la joie, du beau sport, de la sérénité, du suspens … C’est un des moments précieux que la vie m’a offert et que je garde dans ma boîte à souvenirs avec une immense gratitude.
P.A : En décembre 2018, ton complice Mistral du Coussoul a fait ses adieux au public à Stockholm, cheval avec qui tu as couru les championnats d’Europe Jeunes Cavaliers dix ans plus tôt. Quelle relation entretiens-tu avec lui ?
A.F : Mistral est bien plus qu’un cheval pour moi. Il est mon compagnon de route et je lui dois d’être celle que je suis aujourd’hui. Ensemble, nous avons traversé énormément de choses. Dans les bas, nous nous sommes relevés ensemble, jusqu’à atteindre des hauts que nous n’avions jamais imaginé. Sans lui, je suis incomplète. Nous sommes une entité. Quelqu’un qui n’était pas du milieu du cheval m’a d’ailleurs fait cette réflexion à un dîner. « Pourquoi dis-tu « nous » tout le temps, c’est ton côté Alain Delon ? ». C’était dit avec gentillesse ! J’ai éclaté de rire. En effet, lorsqu’il s’agit de Mistral, je parle pour « nous ». Aujourd’hui il est en semi-retraite à la maison et en pleine forme. Je le monte trois fois par semaine. Il fait une à deux balades avec Ornella et une longe pour continuer à entretenir son corps afin de ne pas l’arrêter trop brutalement, et parce qu’un autre projet est en cours. Notre dernier.
A.F : Je dirais naturellement. Je ne me suis pas posée la question. Ça s’est fait comme une évidence. Je courais d’un lieu à un autre.
P.A : D’où vient l’idée de monter à cheval avec une simple cordelette ?
A.F : Un passage de ma vie extrêmement douloureux … Comme quoi, chaque chose a souvent un sens. L’aurais-je fait si je n’avais pas eu à traverser ces épreuves, je ne sais pas. Peut-être, peut-être différemment, peut-être pas.
A.F : C’est une expérience absolument incroyable que d’aller d’un lieu à un autre et de vivre sur les routes avec vos chevaux. Nous terminions un spectacle pour partir vers un autre pays, une autre scène … C’était mon rêve de petite fille et il s’est réalisé sans même que j’ai le temps de réaliser ce qu’il se passait. Cette explosion soudaine avec « Phoenix » était inattendue. C’est d’ailleurs à cause de ça que j’ai été obligée de laisser les poneys derrière moi, aussi douloureux que cela ait pu être. J’ai choisi de vivre pour nous, Mistral et moi. C’était la première fois que je faisais ce choix dans ma carrière, et j’ai eu raison.
P.A : « Mistral, le Vent de l’Espoir » ou encore « Dressage : enseigner, entraîner, coacher » sont des livres que tu as écrits. Raconter ton histoire et transmettre sont des choses importantes pour toi ?
A.F : Deux autres livres sont en cours d’écriture : l’histoire complète de Mistral, nos 12 ans de vie commune, qui est signée dans une maison d’édition depuis 2016 et que je n’ai pas encore eu le temps de terminer car revenir sur cette histoire au moment où le chapitre se referme est douloureux, et un roman qui, pour une fois, ne concerne pas les chevaux. J’aime transmettre, mais j’aime surtout écrire. L’imagination et la création font partie de mon univers. Je pense en images, à longueur de journées.
P.A : « La femme française en mission » est un de tes surnoms. D’où vient-il ?
A.F : C’est une excellente question car je connaissais d’autres surnoms que l’on m’avait donné effectivement mais celui-ci … Je n’ai pas de mission, si ce n’est celle de dire que le milieu du cheval a, je crois, besoin d’ouverture car il y a bien trop de courants qui s’affrontent au lieu de s’écouter et d’échanger. Aucun des courants n’a 100% raison. Chaque cheval est différent. Vouloir mettre des dogmes et asséner des vérités est quelque chose de dangereux. Pour le reste, je fais mon chemin, mes recherches. Elles sont personnelles. Je n’ai pas pour prétention d’en faire des vérités. Les gens qui souhaitent écouter mes recherches et les partager sont toujours les bienvenus, mais je n’ai pas d’autre prétention en la matière.