Estelle Wettstein : « Sur le circuit Enfants et Juniors de dressage, il y a de bons chevaux mais ils ne valent pas la qualité des poneys »
Brillante à poney autant en dressage qu’en saut d’obstacles, la Suissesse Estelle Wettstein aura su marquer les terrains de compétitions qu’elle a foulés. Aujourd’hui à seulement 24 ans, l’amazone compte déjà deux événements majeurs dans sa carrière : les Jeux Equestres Mondiaux de Tryon en 2018 et les championnats d’Europe de Rotterdam l’an passé. Rencontre avec la jeune prodige.
Poney As : L’équitation est venue tout naturellement à toi…
Estelle Wettstein : Je suis pratiquement née avec car mes parents gèrent une écurie de sport et de commerce « Fohlenhof » à Wermatswil, près de Zurich. L’un est cavalier de saut d’obstacles, l’autre de dressage. Au commencement, je préférais sauter : je trouvais qu’il y avait plus d’action. J’ai fait ma première compétition à 6 ans. Mais avec le temps et les chouettes poneys que j’ai pu croiser sur ma route, j’ai compris l’idée du dressage et ses sensations. Ainsi, j’ai développé une passion pour cette discipline.
P.A : À 11 ans, tu as couru tes premiers championnats d’Europe de Dressage à poney à Avenches en Suisse avec l’étalon Rythm And Blues en 2008. Comment as-tu vécu cette première sélection ?
E.W : C’est assez drôle car ma grande sœur montait déjà avant moi à ce niveau avec Rythm And Blues. En Suisse, nous n’avions pas beaucoup de cavaliers de dressage, j’étais la seule représentante. Ma mère m’accompagnait et cela me paraissait incroyable ! Les championnats d’Europe à poney sont un événement qu’on ne peut oublier. En un même lieu, toutes les nations européennes viennent courir pour décrocher le titre suprême sur trois disciplines différentes. Il y a une telle ambiance, c’est à vivre ! À une échelle plus réduite qu’à cheval, ce niveau reste le plus élevé. J’étais l’une des plus jeunes de la compétition et même si je n’étais pas en haut du classement, je voyais tout ce dont ma génération était capable de faire : j’étais impressionnée ! À ce moment-là, je me suis dit que l’équitation était bien plus qu’une passion, c’est ce dont je souhaitais faire de ma vie.
P.A : Une première sélection européenne en saut d’obstacles avec Calinka III en Grande Bretagne à Bishop Burton deux ans plus tard. Approche-t-on différemment un championnat d’Europe dans une autre discipline ?
E.W : Pour moi, c’était un rêve de faire les championnats d’Europe dans mes deux disciplines la même année. Malheureusement, le règlement nous y contraint. Mais, l’esprit reste exactement le même. Quelle que soit la discipline, mes parents m’ont toujours soutenu. Après mes deux premières années de dressage, j’ai voulu y participer en saut d’obstacles avec toujours cette même détermination.
P.A : Un dernier championnat d’Europe de dressage chez les poneys en 2012 à Fontainebleau avec Nice Blue Eyes. Raconte-nous !
E.W : Cette année-là, j’étais qualifiée pour y participer dans les deux disciplines, mais je voyais plus de chance en dressage. Nice Blue Eyes est une ponette qui est arrivée à l’âge de cinq ans aux écuries, je l’ai préparée pour le haut niveau. Elle était qualiteuse à ce niveau d’épreuve tout comme mon deuxième pilier Championess II. Il a donc fallu choisir ce qui a été assez dur pour moi puisque c’était ma dernière année à poney. Je sentais que je pouvais vraiment être dans le grand sport à poney et que ça aurait pu continuer encore un bon moment. Lors de cette dernière année, je me disais « maintenant j’y suis, je sais de quoi il s’agit et c’est déjà terminé » : j’étais très triste. Aujourd’hui, quand je regarde mes souvenirs, le temps à poney me manque beaucoup ! Ils sont comme des petits chevaux avec de grandes qualités. Sur le circuit Enfants et Juniors de dressage, il y a de bons chevaux mais ils ne valent pas celles des poneys. Il y en a certains lorsqu’on les regarde, on se dit « je veux très volontiers avoir ce poney en cheval » !
P.A : Tu as suivi tout le circuit Jeunes autant en dressage qu’en saut d’obstacles avec plus d’une dizaine de championnats d’Europe à ton compteur, comment peux-tu résumer ces années ?
E.W : Ce qui était très intéressant pour moi c’est que je n’ai jamais pu dire quel chemin j’allais prendre, aujourd’hui encore ! Je n’ai jamais su dire dans quelle discipline je me sens la plus à l’aise. À vrai dire, c‘est plutôt périodique, un temps le saut allait mieux et le dressage non, puis inversement. Cela m’a permis de développer mon équitation autant en nombre de chevaux qu’en épreuves et circuit. En dressage, en Juniors, je me disais « je dois monter un cheval » puis en Jeunes Cavaliers faire des séries. En parallèle, à l’obstacles sur 1,40 m en Juniors puis 1,45 m en Jeunes Cavaliers. Avec le temps, les années et les différentes techniques d’entrainements et de chevaux, tout ça devient la normalité.
P.A : Aujourd’hui compétitrice sur les CSI 3* et CDI 4* ainsi que dresseuse pour la Suisse lors des Jeux Équestre Mondiaux de Tryon et au championnat d’Europe de Rotterdam l’an passé, peux-tu dire que tes années à poney ont été déterminantes pour l’avenir de ta carrière de cavalière ?
E.W : Oui, possible ! Je suis encore assez petite aujourd’hui, et je l’étais aussi plus jeune. Je n’aurais jamais pu monter un cheval à cet âge comme j’ai pu monter un poney. Et, c’est ce qui fait le charme du sport à poney, nous avons des petits chevaux sous nos selles. En regardant mon palmarès, on voit bien que j’ai plutôt percé en dressage tout simplement car il y a moins de concurrents, déjà à poney comme en Elite aujourd’hui. Il est entre guillemets plus facile de trouver des sponsors et des équidés comme il y a moins de cavaliers. En dressage, lorsqu’on fait un bon résultat, cela se voit. En saut d’obstacles, il y a tellement de pilotes qui l’ont aussi fait, cela se fond dans la masse.
P.A : Comme analyses-tu l’évolution du dressage en Suisse ainsi que sa place ?
E.W : La situation du dressage est assez identique à celle de la France. Mais, nous sommes un pays bien plus petit, ce qui rend les déplacements en compétitions plus simple, donc une concurrence plus grande. Lorsqu’on ne connaît pas réellement le dressage, honnêtement, ce n’est pas intéressant : il faut trouver sa passion pour la discipline. Lorsqu’on la trouve, on voit tout ce qu’on ne voit pas quand on est à pied. Aujourd’hui, le dressage s’ouvre, il n’y a pas que le Grand Prix mais aussi la reprise libre en musique où l’on peut apporter de l’action pour les jeunes. Avant, nous avions que de la musique classique, maintenant on peut mettre du rock par exemple ! Les personnes de l’extérieur ne se rendent pas compte, je pense que nous avons encore cette vieille image, mais ce milieu est très ouvert et vif. C’est dommage, mais les choses peuvent changer ! D’ailleurs, de plus en plus de cavaliers arrivent, nous avons réussi à avoir une équipe pour Rotterdam et Tryon. Mais, nous ne sommes pas qualifiés pour les Jeux Olympiques de Tokyo, nous n’avons qu’une place en individuel. Cependant, nous avons maintenant un « team spirit », nous sommes entre nous. Nous faisons les entrainements ensemble, nous nous téléphonons souvent. Nous formons une bonne équipe, peut-être pas encore dans le sport, mais nous avons cet esprit d’équipe, ce qui est le plus important pour commencer.
Propos recueillis par Léa Tchilinguirian