Retour à la liste d'articles Article du 24/04/2020

Victor Levecque : « Lorsque l’on goutte à la veste bleue, on se transcende davantage »

Déjà de nombreuses médailles à son cou, le cavalier de Concours Complet Victor Levecque âgé de 21 ans n’a toujours eu que deux mots à la bouche : cavalier professionnel. Étudiant à Sciences Po Paris, élu « Rising star » 2018 par la FEI, membre du groupe 1 – Équipe de France, l’espoir revient avec nous sur sa carrière sportive et ses futures ambitions.

Poney As : Si nous te disons Qualitat des Bourdons (maintenant appelé Shadow Bumblebee), tu nous dis…
Victor Levecque : Extraordinaire, c’est clairement le mot ! Notre rencontre est assez drôle d’ailleurs. Mon premier objectif était de faire les championnats d’Europe à poney. Quand je voyais les cavaliers, j’en rêvais alors j’ai tout mis en œuvre pour y arriver en avançant progressivement. J’avais des poneys avec de l’expérience, Sans souci des Quatre As (avec qui il fut champion de France Grand Prix en 2012, ndlr) et Kisaute Ho d’Othon. Mais avant, avec mon entraîneur Alexis Bonnard et mes parents, nous avons voulu faire quelque chose d’assez fou en me trouvant un crack poney ayant tout le potentiel, à former pour atteindre notre but. Je suis allé dans un élevage plutôt consacré au dressage, j’en ai essayé plusieurs. Mais ce poney-là, dans son pré, m’intriguait. Il était magnifique, il trottait et galopait comme un fou : je le trouvais incroyable ! Mais, on me disait qu’il était trop compliqué pour un enfant. Finalement, j’ai insisté, nous l’avons acheté et ramené d’ailleurs sans l’avoir essayé ! Il est arrivé à ses 4 ans à mes côtés. Il a été monté par Alexis lors de ses années de jeunes poneys. Sans lui, je n’aurais jamais réussi à exploiter ce poney-là. J’ai pu tirer le maximum de Qualitat, avoir une si belle histoire avec des résultats.

Victor Levecque, en bronze en 2013, décroche l'or aux championnats d'Europe de Millstreet en 2014 - ph. Poney As
Victor Levecque, en bronze en 2013, décroche l’or aux championnats d’Europe de Millstreet en 2014 – ph. Poney As

P.A. : Chaque championnat d’Europe avec ce poney a sa médaille : le bronze en individuel et l’argent par équipe à Arezzo, en Italie en 2013 puis la double médaille d’or à Millstreet, en Irlande, l’année suivante. Comment as-tu vécu ces performances ?
V.L. : Notre parcours ensemble a plutôt été en dents de scie mais nous n’avons vraiment pas brulé les étapes. Je pense que, ce qui m’a aidé, est d’avoir monté également deux supers poneys expérimentés. Grâce à eux, j’ai pu me former et essayer de retranscrire ça avec Qualitat. Jusqu’à ma première année aux championnats d’Europe, tout se passait vraiment bien avec beaucoup de victoires. À Arezzo, nous terminions avec deux médailles mais l’épreuve de saut d’obstacles s’est plutôt mal passée, ce qui m’a mis un coup de mou… L’année suivante, j’ai vraiment eu du mal à retrouver cette connexion avec lui : je ne faisais pas un parcours sans faute sur le cross. J’ai d’ailleurs eu des propositions d’achat. Ça a été beaucoup de questionnement, je commençais à grandir, le manque de résultat, etc. Mais le cœur a parlé… Il est tellement incroyable et je voulais aller au bout de cette histoire ! J’avais vraiment envie d’atteindre mon but : arriver ensemble jusqu’à ce titre de champion d’Europe. Emmanuel Quittet, sélectionneur poney, a continué à me faire confiance : nous sommes champions de France en 2014 ! Et finalement, il m’a emmené aux championnats d’Europe où nous sommes double médaillés d’or. Je dirai que ce sont des souvenirs incroyables qui m’ont permis de me former en tant que cavalier. Mais, sincèrement, ça n’a pas toujours été facile ! Qualitat est un poney très attachant mais vraiment compliqué, il ne pardonne aucune erreur.

Loin d'être le plus facile, Qualitat des Bourdons, véritable crack, a été un formidable partenaire pour Victor Levecque - ph. Poney As
Loin d’être le plus facile, Qualitat des Bourdons, véritable crack, a été un formidable partenaire pour Victor Levecque – ph. Poney As

P.A. : Une fois passé à cheval, tu as continué à concourir aux côtés de l’équipe tricolore chez les Jeunes. Faut-il vraiment passer par là pour accéder au haut niveau ?
V.L. : Je ne pense pas qu’il y ait de règles. C’est vrai que moi j’ai suivi ce parcours plutôt classique où j’ai vraiment fait toutes les catégories jusqu’à aujourd’hui où j’ai mes premières sélections chez les séniors. Si on a la chance de le faire, autant en profiter. C’est très formateur. Nous prenons de l’expérience et comprenons davantage les enjeux, le stress de la compétition, la stratégie mise en place pour aborder une importante échéance. Lorsque l’on goutte à la veste bleue, on se transcende davantage, et ce pour tous cavaliers. Ça nous donne encore plus l’envie de travailler et de motivation. Mais, je ne pense vraiment pas que ce soit un parcours obligatoire. Moi, je l’ai suivi car les choses se sont organisées ainsi.

P.A. : En 2018, tu as reçu le trophée « Longines Rising Star » (étoile montante) lors de la cérémonie FEI Awards 2018, au Barhein. Qu’as-tu ressenti à ce moment précis ?
V.L. : 2018 a été une très bonne année pour moi puisque je suis champion de France et d’Europe Jeunes cavaliers avec Phunambule des Auges. J’avais déjà entendu auparavant parler de cette remise de trophée venant de la FEI, puis en septembre ils m’ont appelé en m’annonçant ma présélection. Remporter cette distinction a vraiment été super et résume bien mon année ! J’ai passé 4 jours à Manama entouré de grands sportifs, ce sont de très bons souvenirs.

P.A. : D’ailleurs, tu avais été comparé à Kilian Mbappé dans le football…
V.L. : La FEI avait fait plusieurs visuels pour présenter les cavaliers. Et justement, elle me comparait à Kilian Mbappé, ce qui est flatteur lorsqu’on voit quel sportif il est ! Mais, je ne sais pas d’où vient cette comparaison (rire !).

Victor Levecque & Qualitat des Bourdons - ph. Pauline Bernuchon
Victor Levecque et Qualitat des Bourdons lors des championnats de France Grand Prix qu’ils remportent – ph. Poney As

P.A. : L’écurie Equipol dont tu es à la tête te permet de part ses installations et son encadrement de haut niveau de t’accompagner vers tes objectifs. Présente-nous ta cavalerie !
V.L. : Aujourd’hui, j’ai quatre chevaux de tête. Phunambule des Auges, mon cheval de cœur, a 17 ans maintenant et est en grande forme. Il a très bien passé la barre des séniors puisque nous avons gagné le CCI 4*-S de Lignières en fin d’année dernière. Avec lui, l’objectif est de concourir le circuit Event Riders Masters. Nous nous connaissons par cœur, il me permet vraiment d’emmagasiner de l’expérience. RNH Mc Ustinov, surnommé Mac, est mon meilleur cheval qualifié pour les Jeux Olympiques de Tokyo. Il a vraiment fait une bonne saison l’an passé, notre programme actuel est plutôt remis en question. Je discute avec Thierry Touzaint, le sélectionneur tricolore, pour voir comment réadapter les choses. Puis, j’ai deux autres chevaux que j’ai récupéré cette année, un huit ans Captain des Jis et une jument d’onze ans.

Avec Phunambule des Auges, Victor est notamment double champion d'Europe Jeunes Cavaliers - ph. coll. privée
Avec Phunambule des Auges, Victor est notamment double champion d’Europe Jeunes Cavaliers – ph. coll. privée

P.A. : Qualifié avec RNH Mc Ustinov pour les Jeux Olympiques de Tokyo, la saison se prépare-t-elle différemment ?
V.L. : Nous sommes une dizaine de couple à être qualifiés donc dix qui peuvent potentiellement aller à Tokyo. Mais la sélection, ce sont trois cavaliers et un remplaçant. C’est déjà très bien d’être qualifié mais il y a une énorme marche pour la sélection. Je pense qu’il y a deux choses qui comptent : la forme et les résultats. De toute manière, la sélection arrive au moment où le couple est en forme et performant. Mon mot d’ordre est qu’il ne faut rien changer ! Si les cavaliers en sont là, c’est que leur système est bon. Bien sûr, ça emmène un surplus d’énergie et de motivation puisque les Jeux Olympiques sont le rêve de tous sportifs ! Nous avons fait beaucoup de stages cet hiver. L’accompagnement est encore plus poussé et très stimulant. Mais, il ne faut pas non plus s’enflammer : il faut travailler pour être bon !

Victor Levecque : "Mon rêve est d’être champion olympique et je ferai tout pour !" - ph. coll. privée
Victor Levecque : « Mon rêve est d’être champion olympique et je ferai tout pour ! » – ph. coll. privée

P.A. : Transmettre est important pour toi ?
V.L. : C’est quelque chose d’important que je fais en y prenant du plaisir même si je ne me revendique pas grand coach. Être cavalier et entraîneur sont vraiment deux choses distinctes et deux métiers différents. Aujourd’hui, je prends vraiment du plaisir à transmettre mes expériences. Mais, ma priorité reste le sport, je n’ai pas envie de me disperser.

Victor Levecque, la relève du CCE français - ph. coll. privée
Victor Levecque, la relève du CCE français – ph. coll. privée

P.A. : Peux-tu nous parler du Club VL 2024 ?
V.L. : Pour le moment, c’est vrai que ce club est un peu en stand-by vis à vis de Tokyo et les objectifs à court terme. Mais la philosophie reste la même : Paris 2024. J’organise au sein de mes écuries des choix de chevaux. Toute ma stratégie personnelle ou professionnelle est orientée vers cet objectif. Je veux être prêt au moment souhaité. Les Jeux Olympiques se préparent quatre ans à l’avance. Concernant mes chevaux, Phunambule et Mac sont très importants pour moi à court terme. Mais ce ne seront pas les chevaux pour Paris. Je prépare la relève de Phunambule avec mes plus jeunes chevaux. Contenu de la situation actuelle, c’est un peu figé mais cette année, j’ai comme objectif de trouver trois chevaux potentiels pour Paris 2024. Effectivement, ce n’est pas si simple et il peut encore se passer tant de choses d’ici là ! Mon équipe et moi essayons vraiment de structurer chaque détail afin que je puisse réussir. D’autant plus que Paris, c’est ma ville ! Et c’est ce qui rend l’événement encore plus incroyable ! Mais, il faut aussi relativiser, lors de Paris 2024, j’aurai 26 ans. Si je ne fais pas ces Olympiades-ci, ce ne sera pas un échec pour moi ! Mon rêve est d’être champion olympique et je ferai tout pour !

P.A. : En parallèle, tu as le désir de continuer tes études…
V.L. :
J’ai intégré Sciences Po Paris suite à l’obtention de mon Baccalauréat où je suis maintenant en quatrième année. Je fais parti de la section spécialisée pour les sportifs de haut niveau. Je suis quasiment tous mes cours à distance : c’est très bien adapté pour les sportifs ! Je suis le seul cavalier mais tous les sports sont représentés avec différents parcours. Je suis l’un des plus jeunes mais certains sportifs ont plusieurs olympiades à leurs comptes. C’est un partage d’expérience très riche ! Je n’ai jamais été obligé de faire des études mais ça a toujours été une volonté de ma part. Aujourd’hui, le sportif de haut niveau n’est pas qu’un champion, c’est quelqu’un qui sait gérer sa carrière avec un système solide pour son entreprise. Je trouve donc cela cohérent de poursuivre mes études. Également, étudier fait partie de mon équilibre bien que les chevaux font partis de ma vie et sont ma passion. Je ne m’imagine pas être toute la journée focus là-dessus et voir que les mêmes têtes. Je pense qu’il est important de s’ouvrir, voir et discuter de choses totalement différentes. Plusieurs options s’ouvrent et s’ouvriront à moi, j’aimerai bien mêler ma carrière sportive et avoir une vie en entreprise également.

Propos recueillis par Léa Tchilinguirian