Retour à la liste d'articles Article du 10/04/2020
CCE

Covid-19 : Comment s’organise une écurie comme celle de Jean-Philippe Lima en période de confinement ?

Face à la pandémie du Covid-19, les structures équestres ont dû fermer leurs portes aux clients à la suite de l’arrêté du 15 mars 2020. Pourtant, la vie à l’écurie, elle, ne s’arrête pas. L’incontournable entraîneur de Concours Complet, Jean-Philippe Lima, nous livre son organisation au sein des écuries Grandjean basées à Lamorlaye en Picardie.
Jean-Philippe Lima a entrainé durant plusieurs années la multimédaillée Perle du Boisdelanoue - ph. Poney As
Jean-Philippe Lima a entrainé durant plusieurs années la multimédaillée Perle du Boisdelanoue – ph. Poney As

Poney As : Comment s’organise ta structure en temps normal ?
Jean-Philippe Lima :
Actuellement, au sein des écuries Grandjean où je suis installé depuis trois ans, j’ai onze poneys de sport concourant de la Poney 4 à l’international puis mes deux chevaux. J’ai quatre cavalières qui concourent en Grand Prix dont trois en CCIP. Habituellement, je travaille les poneys avec une cavalière à temps partiel deux fois par semaine. Les enfants ne viennent pas tous les jours ; ils habitent principalement à Paris ou ses alentours. Puis, une enseignante me remplace lorsque je suis en déplacement pour les compétitions. Mais, pendant cette période de confinement, je suis seul ! J’ai la chance d’être chez les Grandjean, qui eux, s’occupent de faire les boxes, nourrir et de sortir les chevaux au paddock ou au marcheur. Je n’ai plus qu’à me concentrer sur le travail.

Poney As : À quoi ressemble ta journée de confiné ?
J-P.L. : Ce sont de très longues journées ! Mon réveil est à 5h15 et je ne rentre pas chez moi avant 22 heures. Je commence dès 6 heures par monter 5 ou 6 chevaux dans une écurie de course en tant que cavalier d’entraînement. L’après-midi est consacrée à mon écurie où j’en monte 8, donc sur une journée, je travaille 13 équidés ! Ce sont des chevaux de sport donc même si je ne reste pas autant de temps dessus, les préparer et faire les soins prend du temps. Ce sont de très longues journées, je pense être comme la plupart, impatient que le confinement soit levé !
 
Poney As : Alors que le sport est à l’arrêt, avec quel état d’esprit montes-tu à cheval ?
J-P.L. : Je réalise plutôt un travail d’entretien et plus calme. Je fais des groupes d’équidés en fonctionnant sur trois jours et ainsi de suite. Les chevaux travaillent deux jours et ont un jour de repos tout en sachant que le matin, ils sont également au paddock ou au marcheur. Mais parmi eux, j’ai également des petits poneys sur lesquels je ne peux pas monter alors ils font plutôt de la longe ou un travail de longues rênes.
Championnats d'Europe 2018 à Bishop Burton : Emmanuel Quittet, Jean-Philipe Lima et Xavier de Léglise - ph. Poney As
Championnats d’Europe 2018 à Bishop Burton : Emmanuel Quittet, Jean-Philipe Lima et Xavier de Léglise – ph. Poney As
Poney As : Penses-tu que les poneys ressentent l’absence des cavaliers et des concours ?
J-P.L. : Je ne pense pas que les concours leur manquent, loin de là, mais l’absence des cavaliers, si. Avec moi, ils sont tous au travail (rire !). Ils auraient été plus contents avec les enfants, je suis plus grand et plus lourd. Mais je pense plutôt qu’ils traduisent un surplus d’énergie. Nous étions à un jour de partir à la Tournée de As de Pompadour donc ils étaient tous prêts à reprendre la saison. Ce sont des poneys de Complet avec forcément beaucoup d’énergie qu’ils ne peuvent pas dépenser. En semaine, ils ont l’habitude d’aller galoper dans la forêt de Chantilly. Lorsqu’ils reviennent d’un cross, ils sont souvent fatigués. Aujourd’hui, nous devons tous rester au sein de la structure. J’ai d’ailleurs été obligé de diminuer les rations pour qu’ils soient plus calme et ne grossissent pas.
 
Poney As : D’après toi, peut-on dire que c’est une année de perdue ?
J-P.L. : Oui, c’est très compliqué. De mon côté, dès que nous pourrons reprendre la compétition, mes cavaliers pourront y aller car j’aurai travaillé les poneys. Mais si l’on regarde les structures ayant mis leur cavalerie en pâture, ça va être compliqué pour eux. Nous en sommes à un mois et peut-être deux d’arrêt du sport ce qui correspond à environ deux mois de remise en route afin que les poneys soient performants lors d’une compétition. D’ailleurs, la Fédération ne s’est pas encore prononcée pour les championnats de France mais s’ils les maintiennent, je ne vois pas comment nous pourrons présenter des couples performants sans casse. Pour revenir plus précisément à la question, cette saison était aussi synonyme de dernière année pour les cavaliers de 16 ans. Pour participer aux concours internationaux et aux championnats d’Europe, ce sont des années d’investissement : financier, de temps, de travail, d’espoir et d’objectifs. Pour eux, c’est une catastrophe. Pour les poneys, en revanche, ça les économise plutôt !
Marine Bolleret, Jean-Philippe et la fidèle Perle - ph. Poney As
Marine Bolleret, Jean-Philippe et la fidèle Perle – ph. Poney As
Poney As : Ton avis sur le report des championnats d’Europe ?
J-P.L. : Nous n’avons pas assez de recul mais honnêtement, je ne vois pas comment nous pouvons faire un regroupement de différents pays dans les mois à venir. Le championnat d’Europe est une grosse et difficile compétition qui demande de la préparation. Le passage par des concours comme Pompadour, Mâcon et les internationaux est incontournable. À moins d’avoir des poneys et cavaliers expérimentés ayant déjà participé à cette échéance, les autres couples ne seront pas prêts pour ce championnat même si c’est reporté. Il faut qu’ils passent avant par ces gros concours-là sinon ils seront très en retard dans la préparation. Puisque les Jeux Olympiques ont été reportés d’un an, ça me paraîtrait logique que les championnats le soient aussi. Tout sportif a besoin d’un entrainement pour courir de telles échéances. D’ailleurs, les poneys travaillent mais les cavaliers non. Je ne les ai pas vu depuis un mois, je ne sais pas ce qu’ils font, s’ils s’entretiennent physiquement. Pour courir le cross des championnats d’Europe, le cavalier doit aussi être physiquement prêt. Dans tous les cas, que ce soient les championnats d’Europe ou de France, s’ils sont maintenus ou reportés, il faudra baisser le niveau pour minimiser la casse.
 
Propos recueillis par Léa Tchilinguirian